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11 octobre 2009

Petit détour au CHN: Le Centre inhospitalier national


C’était un mercredi, le soleil était de plomb, en cette fin de Ramadan. Il était presque dix heures, lorsque Docteur Kleib et moi stationnâmes devant l’imposante porte du Centre Hospitalier National. Un monument de la santé publique, en République Islamique, fondé en 1966. En face du bâtiment, des dizaines de pharmacies, aux rayons achalandés de toutes sortes de produits de diverses provenances, servent les centaines d’usagers que leur renvoient, régulièrement, généralistes et spécialistes, du fond d’une institution visiblement délabrée par plus de 45 ans d’usage. Tout autour, une armada de mendiants déverse, en chœur, des complaintes à briser le cœur des malades et de leurs accompagnateurs. Escarcelles à la main, ces gueux arrivent à extorquer, malgré la précarité des moments, quelques pièces de monnaie qui serviront, probablement, à nourrir une marmaille laissée dans des abris de fortune, aux confins des quartiers populaires de la capitale. Sur le vaste espace, sis devant le centre hospitalier, la concurrence est rude, entre épiciers, vendeurs de cartes de recharge, taximen, restaurateurs et grilleurs de viande aux odeurs provocantes. Khadijettou, une jeune femme de trente ans, vendeuse de glace, est là depuis les événements de 1989. Elle connaît pratiquement tout le monde. Pour elle, la situation est toujours la même, depuis qu’elle travaille ici. Se faire soigner au centre hospitalier relève du parcours du combattant. Les tracasseries de tous ordres sont le lot quotidien des usagers. La police, les vigiles des sociétés de gardiennage, les employés subalternes et, parfois, même le personnel médical causent désagréments sur désagréments aux malades et à leurs accompagnateurs. «Regardez tout ce monde», me dit Khadijettou, «là-bas, devant les urgences, ce sont soit des malades soit des parents de malades. Que font-ils à attendre ? Pour entrer, il suffit, pourtant, de glisser un petit billet au planton du jour. C’est la règle. Rien à faire d’autre». Devant un petit bureau, juste à l’entrée, une queue de plusieurs dizaines de personnes attendent le précieux billet d’hôpital sans lequel aucun médecin ne vous consultera. Certains, fatigués, se sont assis sur le sol crasseux. Ils n’ont pas le choix, la progression est lente. «Normal», m’explique un vieillard à la barbe hirsute et aux traits tirés par la fatigue ou la maladie, «pendant que nous attendons, des heures, d’autres, parents, amis ou connaissances du caissier, passent directement se procurer la formalité.»Dans l’enceinte A l’entrée de chaque service, les files d’attente sont longues. A la maternité, devant le laboratoire d’analyses, au service scanner, à la cardiologie, à la radio, au service d’hémodialyse, devant la pédiatrie ou au service oto-rhino-laryngologie, des hommes et des femmes, de tous âges et de toutes conditions, attendent, patiemment, de se faire examiner par les spécialistes. Couloirs et allées regorgent de monde. Certains n’hésitent pas à se coucher à même le sol. D’autres, allongés sur de petits bouts de nattes, boivent tranquillement leur thé. Infirmiers et docteurs, en blouse blanche, circulent entre les branches de la gigantesque bâtisse. Les pharmacies de session, officines internes au centre hospitalier, souvent mal garnies, servent les rares clients qui les sollicitent. Selon Bouh Ould Hmeid, venu de Legneiba, aux confins du Hodh Chargui, qui accompagne sa femme souffrant d’un cancer, ces pharmacies-là ne contiennent rien d’intéressant, à part du ringer ou des gants de mauvaise facture, tout s’achète dans les pharmacies privées, au prix fort. «Je suis là depuis trois semaines, j’ai dépensé beaucoup d’argent, inutilement. Je m’apprête à aller au Maroc ou en Tunisie ou même retourner au village». Furieux. Pour lui, il ne sert à rien de venir au CHN. A la buvette de l’hôpital, une petite pièce peu spacieuse qui servait, naguère, de mosquée, où je retrouve mon ami Kleib, animant une discussion entre deux verres de jus et de lait, malgré le Ramadan, un groupe d’employés de l’institution fustige, sans ménagement, les pratiques obsolètes qui prévalent en son sein. La corruption, le clientélisme, le laisser-aller, le favoritisme et le népotisme seraient, selon eux, des pratiques récurrentes de tous les responsables qui ont, ou qui ont eu en charge la gestion de ce service public. «Quand», me confie un TSS (Technicien Supérieur de Santé), «des responsabilités sont confiées à des personnes presque étrangères à la santé, au détriment de gens formés pour ça, c’est qu’il y a anguille sous roche. Tout comme quand un directeur se permet de recruter, abusivement, des dizaines de personnes fictives, alors que les fonctionnaires ne perçoivent pas régulièrement leurs dus. Ce n’est pas autre chose que de l’irresponsabilité et du sabotage.»
Vous avez dit urgences?Encore mon ami le docteur Kleib sans lequel le gaillard et le flic qui veillent, à la porte des urgences, ne m’auraient jamais laissé entrer. Très fort docteur, il a suffi d’un geste de la main pour que les deux s’exécutent. Bravo Doc! Quelle autorité! Quelles urgences, au fait? Il est vraiment urgent d’assainir les urgences. Un service exigu où malades et accompagnateurs se confondent. La mine des uns et des autres est identique. Fatigue, saleté, visages renfrognés, regards vides. Devant la salle de consultations, des dizaines de personnes attendent. Au bureau d’accueil, Mohamed Ould Sghair ne décolère pas. Pour ce ressortissant de Bousteila, ancien infirmier à la retraite, visiblement nostalgique du temps passé, plus rien n’est comme avant. «J’ai un brûlé», dit-il, «de troisième degré qui est là, depuis trois heures du matin. J’ai fait toutes les formalités, radio et autres, ce qui m’a coûté plus de 20.000 ouguiyas. Résultat: à onze heures, aujourd’hui, mon malade sort, sans être soigné, et moi, pour avoir fait un petit somme, mes chaussures ont été volées!» Pourtant, en 2005, un budget important a été alloué, pour une polyclinique des urgences. Volé, le CHN se retrouve avec une petite salle exiguë, incapable d’accueillir cent malades, sous-équipée sur le plan humain et matériel. Pas de salle de tri, ni de salle de déchoquage. Pas d’intimité pour les malades qui sont examinés, publiquement, devant les usagers. Seuls deux infirmiers, un pour la partie médicale et un pour la partie chirurgie, assurent une faction de douze heures, pour un flux qui dépasse, parfois, les centaines de malades, en provenance des structures périphériques, incapables d’assurer leurs responsabilités, et des hôpitaux régionaux qui manquent de personnel et d’équipements pour faire face au moindre cas problématique.
ProblèmesA sa fondation en 1966, le CHN disposait de 120 lits. 43 ans plus tard, on en dénombre 430. Aujourd’hui, avec 23 services médico-techniques, 148 médecins, 346 infirmiers, 255 employés subalternes et un budget de plusieurs centaines de millions, ce service public vital offre des prestations très «passables» – c’est, vraiment, un euphémisme – et donne l’impression d’être, plutôt, un mouroir vers qui convergent ceux qui n’ont aucun moyen d’aller se soigner ailleurs. Les fréquentes évacuations, vers des pays comme le Sénégal, le Maroc ou la Tunisie, pour des cas, parfois, très bénins ne sont que les preuves supplémentaires de l’échec de l’institution médicale en Mauritanie. Selon ses responsables, le centre hospitalier souffre d’un certain nombre de problèmes dont la vétusté et l’inadaptation des locaux ne sont pas les moindres. Depuis sa fondation, cette vieille bâtisse n’a jamais été réhabilitée. Ses canalisations sont souvent bouchées et certains de ses étages sont sans toilettes. En Mauritanie, l’amortissement et la maintenance sont des concepts inconnus. Ainsi, le même matériel bio-médical et le même plateau technique sont toujours «opérationnels», depuis 1966. Les estimations démographiques de l’époque, sur la base desquelles l’édifice a été conçu, n’ont pas été reconsidérées. La commande des pièces détachées et la mobilisation de techniciens étrangers, pour l’ascenseur chargé du déplacement des comateux, sont des dépenses coûteuses qui handicapent sérieusement l’évolution de l’institution. Tout comme l’incapacité des autres structures périphériques et des hôpitaux régionaux à jouer valablement leur rôle empêche le CHN, une structure tertiaire, de se développer, en se consacrant, notamment, à la recherche, et le contraint à accueillir des malades souffrant de petites fièvres ou de maux bénins de tête.
PromessesL’actuel ministre de la Santé a, dès sa prise de fonction, promis publiquement de réduire, considérablement, les évacuations de malades vers les pays étrangers, en dotant les structures nationales de tout ce qu’il faut, pour traiter, au pays, les citoyens, dans les mêmes conditions qu’ailleurs. Avant lui, le président Mohamed Ould Abdel Aziz avait dit pratiquement la même chose, lors de sa visite au CHN auquel il avait promis, dans une de ses improvisations légendaires, un scanner. Inopinément, le président des pauvres a revisité l’établissement, lors de la fête de la fin du Ramadan. Rien n’a, visiblement, changé. Les mêmes problèmes demeurent. Les malades continuent de voyager pour se soigner. Dans certains pays, comme le Maroc, leurs agissements écornent l’image du pays. Certains préfèrent aller chez les charlatans ou se résignent à traîner leur maladie, en attendant le rendez-vous, imparable, de la mort. L’euphorie des premiers jours, engendrée par des promesses peu objectives, a cédé le pas à la dure réalité. La question de la santé publique, comme celle de l’éducation, est un problème trop sérieux pour s’accommoder de l’improvisation et de la démagogie. La question requiert beaucoup de courage, une grande dose de responsabilité et une admirable détermination. On dit, souvent, que c’est l’hôpital qui se fout de la charité. En Mauritanie, ce sont le CHN, le ministre et le président qui se foutent des citoyens.
Sneiba Elkory